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Neo Rauch




Neo Rauch : Le temps de la peinture
Compte rendu d'une exposition à la Fondation Frieder Burda,
Baden-Baden, 28/05/11-18/09/11



Texte de Madame Marianne Beauviche (*)


La fondation Frieder Burda à Baden-Baden consacre tout au long de l'été une importante rétrospective à l'œuvre de Neo Rauch, un des peintres allemands les plus célébrés de sa génération. Né à Leipzig en 1960, il y a fait ses études de 1981 à 1986 à l'école des Beaux-arts, où il a occupé par la suite les postes d'assistant puis de professeur. Il a participé à la dernière exposition nationale d'art de RDA en 1988. Ses productions jouissent d'une renommée internationale depuis une dizaine d'années. Elles ont ainsi fait l'objet d'expositions individuelles à la Kunsthalle à Zurich en 2000, au musée Bonnefanten à Maastricht en 2002, au Musée d'art contemporain à Montréal en 2006, au Metropolitan Museum of Arts à New-York en 2007, et cette année à la galerie nationale Zacheta à Varsovie. En Allemagne, les spectateurs ont pu voir ses tableaux au musée Max Ernst à Brühl en 2008 et lors de deux grandes expositions simultanées au musée des Beaux-arts de Leipzig et à la Pinakothèque de Munich en 2010.

La présentation à Baden-Baden, conçue par l'historien de l'art Werner Spies[ 1 ], comprend trente-six œuvres, pour la plupart de grand format, qui s'apparentent à une peinture d'histoire dont elles recèlent la maîtrise technique et la complexité. Le parcours, chronologique, montre des tableaux réalisés de 1992 à 2011[ 2 ].

Cette manifestation est intéressante à plus d'un titre : Tout d'abord, elle met en évidence la maturation d'un artiste qui s'est trouvé au contact de plusieurs traditions picturales. Formé à la fin des années 80 dans une RDA à l'identité en plein délitement et aux frontières artistiques plus perméables qu'on ne pouvait l'imaginer en République fédérale – en 1985, il consacre la partie théorique de son diplôme des Beaux-arts à la peinture informelle en RFA[3] – , nommé professeur dans une des écoles aujourd'hui encore les plus en vue de l'Allemagne unifiée, son évolution artistique est emblématique des années qui ont précédé et suivi l'Unification.

Ensuite, comme l'a très justement suggéré l'écrivain originaire de Dresde Uwe Tellkamp, les tableaux de Neo Rauch mettent en scène la «civilisation » [ 4 ]. Sous la plume de l'auteur du roman La tour – Histoire d'un pays disparu [ 5 ]., ce terme correspond à une économie qui s'appuie sur des réserves qu'elle est en mesure de stocker, phénomène matérialisé à l'ère de l'informatique par les ordinateurs ou mémoires artificielles. Elle comporte une connotation négative, la tendance à accumuler concernant également les déchets et objets obsolètes, dont la présence est fréquente dans les tableaux de Neo Rauch. Le recours à des verbes d'action s'avère nécessaire pour décrire ces peintures d'histoire pessimistes ancrées essentiellement dans le 19ème et le 20ème siècle. La relation à un questionnement d'ordre temporel est manifeste au plan formel : En divisant la surface du tableau en différents espaces qui parfois se superposent, le peintre nous met en présence d'une singulière juxtaposition de temporalités. A travers des instantanés au caractère particulièrement statique et souvent monumental, le spectateur se trouve confronté à un temps qui semble s'être arrêté.

Enfin, une dimension réflexive sur l'activité même du peintre et sur la place de la peinture parmi d'autres formes de création artistique est présente dans les œuvres à partir des années 90. En effet, dans ses tableaux, pour certains auto-référentiels et qui tous se trouvent en lien avec des techniques picturales diverses, allant de la fresque à la bande dessinée, Neo Rauch n'a de cesse de revendiquer le medium qu'il a choisi.


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Deux décennies de peinture

L'exposition permet de saisir l'évolution du peintre depuis l'Unification. Des années 90 sont présentés des travaux sur papier qui reprennent certaines caractéristiques des œuvres créées par les plasticiens du temps de la RDA, dont les principales sont la sobriété des matériaux, une approche thématique centrée sur l'histoire et un ancrage dans un contexte temporel et géographique lié à une culture allemande. La plupart des paysages renvoient en effet à la topographie de la région de Leipzig avec ses villages aux églises néogothiques, ses anciennes mines de lignite à ciel ouvert, ses silos et ses vastes forêts. Malgré la récurrence d'éléments réalistes, les images produites tendent à déconcerter les spectateurs. La présence de volcans, par exemple dans Eté (Sommer , 2001, huile sur toile, 200 x 250 cm), paraît surprenante ; cependant les fumerolles qui s'en échappent peuvent évoquer la pollution dégagée du temps de la RDA par les grands sites industriels de la région, élément faisant partie intégrante des paysages saxons. Dans Forestier (Waldmann , 2003, huile sur toile, 180 x 300 cm), l'importance qu'a donné le peintre au premier plan de sa large toile semble imposer d'emblée une immersion du regard dans la terre brunâtre du vaste paysage. Comme les deux silhouettes de personnages qui ne semblent être esquissées que pour servir d'échelle à l'imposante ferme représentée au second plan, le spectateur se trouve écrasé par l'immensité de l'horizon gris foncé vers lequel converge le point de fuite. C'est là une sombre interprétation de ce paysage saxon que nous livre le peintre, empreinte à la fois d'étrangeté et de dureté.

Par ailleurs, on retrouve dans les compositions des objets de consommation allemands voire est-allemands, telle la balance de marque Rapido dans le tableau intitulé Midi (Mittag , 1999, huile sur papier, 116 x 72 cm) comme l'a souligné Werner Spies, commissaire de l'exposition [ 6 ].. Cette présence d'objets à connotation identitaire reste perceptible durant la décennie 2000 : qu'il s'agisse des classeurs de la marque Leitz au premier plan de La retraite (Der Rückzug , 2009, huile sur toile, 300 x 420 cm) ou des meubles en tubes métalliques dans Nuit de tempête (Sturmnacht , 2000, huile sur toile, 200 x 300 cm), des objets du quotidien ancrent les tableaux au sein d'espaces-temps spécifiques. Les pistes sont cependant brouillées par l'usage de proportions non réalistes ou le recours à des assemblages singuliers qui mêlent ces objets réels à des figures de fiction et à des espaces oniriques.

Après 1989, Neo Rauch profite des possibilités nouvelles et effectue par exemple en 1990 un voyage en Italie au cours duquel il fait l'expérience visuelle des fresques [ 7 ].. On en retrouve le caractère paratactique ainsi que certaines caractéristiques chromatiques telle que la douceur des coloris, la netteté des contours des personnages ou des objets qui contraste avec le caractère estompé des fonds dans Lingua (1993, huile sur toile, 200 x 200 cm) ou dans les deux tableaux intitulés Flots (1992/93, huiles sur toile, 250 x 200 cm), dans lesquels sont juxtaposés des éléments disparates. Les œuvres de Neo Rauch se trouvent dans une proximité formelle avec celles d'artistes est-allemands de sa génération tels que Via Lewandowky. Comme ce dernier, qui a réalisé au début des années 90 des tableaux de grand format en reportant sur la toile des agrandissements de planches anatomiques, Neo Rauch reprend dans Flots I et Flots II (Flut I et Flut II) des images qui semblent tirées d'ouvrages de médecine et de botanique. Cependant, lui n'a pas renoncé à la peinture, et non content de reproduire des éléments iconographiques en en modifiant les proportions d'origine, il les intègre dans des compositions sophistiquées.

A l'instar de nombre d'artistes issus de la partie orientale de l'Allemagne, il entretient un rapport ambigu à la figuration, dont l'aspect idéologique était en effet si marqué en RDA que certains artistes s'efforçaient de peindre de manière abstraite afin d'éviter que leurs œuvres soient instrumentalisées par le pouvoir. Il fait le choix de toiles de plusieurs mètres carrés au caractère monumental, ce qui accentue la dimension hiératique et donne de la force à l'atmosphère énigmatique des scènes élaborées. Bien que les sujets abordés soient réalistes, il semble vain de chercher à attribuer un sens précis aux œuvres.


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La peinture du temps

La manière de peindre de Neo Rauch le relie elle aussi à ses contemporains. Il donne à voir aux spectateurs des aspects de leur temps et d'une vaste période allant du 19e au 21ème siècle. Les éléments ayant trait à la culture qui figurent sur ses tableaux sont certes variés, cependant tous vont dans la même direction : ils évoquent un monde finissant.

On y trouve en effet fréquemment des allusions à des objets du passé, tels que que le projecteur de films sur trépied suggéré dans Démonstrateur (Vorführer , 1997, huile sur toile, 200 x 150 cm) ou le chariot dans La retraite (Der Rückzug). Les personnages, du reste présents dans presque toutes les œuvres du peintre, sont pour la plupart vêtus de tenues qui rappellent les images stéréotypées représentant les travailleurs aux champs des pays socialistes, optimisme en moins – bottes pour les hommes, robes-tabliers pour les femmes, êtres au physique robuste de paysans – ou bien ils portent des vêtements de travail à la fois impersonnels et intemporels, par exemple dans Décollage (Start , 1997, huile sur toile, 200 x 150 cm). Dans plusieurs tableaux, le spectateur peut déceler des indices et surtout percevoir une atmosphère qui renvoient aux périodes de la seconde guerre mondiale et de la guerre froide, sans pour autant pouvoir dater précisément les scènes face auxquelles il se trouve. Dans La retraite par exemple, les uniformes que portent plusieurs personnages devraient nous livrer une indication chronologique, or ces vêtements de fanfare d'antan – chemises jaunes, vareuses bleues et couvre-chefs rouges – sont pure fiction. Parallèlement à ce passé surgissant en filigrane, des traces qui évoquent les sociétés des pays socialistes apparaissent à de nombreuses reprises dans les œuvres, par exemple sous la forme de semblants de personnages historiques : un trio de jeunes hommes aux chemises rouges qui brandissent des flambeaux dans Soulèvement (Aufstand , 2004, huile sur papier, 199 x 275 cm), dont la posture et le visage rappellent les statues de Marx ou de Lénine. L'envers de l'utopie est manifeste à travers des paysages figés représentant sous forme stylisée de vastes champs, des sites industriels, des mines à ciel ouvert qui dévastent la nature, ainsi que des horizons dont l'immensité rappelle celle des tableaux de Wolfgang Mattheuer (Reichenbach/Vogtland 1927-Leipzig 2004), peintre de Leipzig – comme Neo Rauch – qui a développé en RDA, où il jouissait d'une grande renommée, une peinture à la fois reconnue par le régime, populaire, et critique vis-à-vis de la société.

On trouve par ailleurs dans les œuvres de Neo Rauch la représentation d'un monde du travail et de la production imposant mais manifestement stérile, puisque les gestes des ouvriers aux figures interchangeables restent improbables : Leurs actions sont-elles vraiment suivies d'effets ? Que produisent-ils ? A quelles fins ? Leurs gestes semblent tourner à vide. Une violence latente est perceptible si l'on considère les relations de domination entre les êtres, suggérées notamment par l'emploi des proportions, comme dans Âge (Alter , 2001, huile sur toile, 250 x 210 cm), où un personnage masculin aux allures de nain, engoncé dans une parka vert sapin, est manipulé par une grande femme robuste qui semble lui indiquer le chemin menant à une sorte de clapier. L'effet est d'autant plus appuyé que parmi les personnages souvent stylisés certains, – ici la femme –, sont représentés en pieds et grandeur nature, tandis que d'autres sont réduits à servir d'échelle à des esquisses de bâtiments qui ressemblent aux immeubles construits dans les années 50. Dans Place (Platz , huile sur toile, 200 x 250 cm, 2000), trois personnages sévères aux visages fermés – deux hommes et une femme – munis de bâtons semblent imposer une séance de dressage brutale à des êtres hybrides, mi-ours mi-chiens à tête humaine. La représentation de fusils, de canons, de cibles, de soldats qui apparaissent sporadiquement dans d'autres compositions leur confèrent des significations inquiétantes, comme autant de présages de destruction ou de remémorations de périodes de guerre.

Paradoxalement, la place prépondérante d'une dimension onirique dans nombre d'œuvres de Neo Rauch – matérialisée par la présence fréquente de personnages allongés dans des lits ou affalés sur des fauteuils – vient renforcer l'impression de fin d'une époque. Arpentée par de menaçants chasseurs aux immenses fusils, la Nuit de tempête (Sturmnacht , 2000, huile sur toile, 200 x 200 cm) par exemple évoque avec ses arbres au tronc brisé la destruction de la nature et la mise en danger des hommes par eux-mêmes. Le monde de la fiction est lui aussi convoqué dans de nombreuses compositions à travers des allusions à l'univers des contes, dont on retrouve le bestiaire, avec l'ours dans La retraite ou un étrange tatou dans Interview (huile sur toile, 210 cm x 300 cm, 2006). Dans En feu (Unter Feuer , huile sur toile, 250 x 300 cm, 2010), des éléments disparates se trouvent réunis dans une pièce au mobilier rustique comme s'il s'agissait d'une séquence tirée d'une narration : se côtoient ainsi une horloge qui est tombée et se trouve hors d'usage, une effigie de chasseur-diablotin qui semble surgir du bidon métallique (de peinture?) sur lequel elle est posée, quatre personnages vêtus d'uniformes vert foncé, dont un homme tenant une longue pipe auquel une femme coiffée d'un chaperon rouge coupe les cheveux, un homme allongé sur le sol portant des sortes de pantoufles qui ont la forme de têtes de chiens, et un troisième homme qui écarte un rideau. A l'arrière-plan, la fenêtre grande ouverte donne sur un pan abstrait qui constitue à lui seul un tableau, traits horizontaux de jaune, de rouge et de vert sur fond noir qui renvoient peut-être au feu mentionné dans le titre de l'œuvre. Pour le peintre comme pour le spectateur, c'est probablement un mode associatif qui permet de faire le lien entre différents éléments présents ou entre les espaces délimités sur la toile.

La représentation d'horloges dépourvues d'aiguilles, les objets obsolètes suggérés plutôt que dépeints d'une manière réaliste, la peinture d'une forme d'inertie dans des décors qui évoquent des lieux de production sont autant d'éléments constitutifs de ce qu'un critique a désigné par l'expression « allégorie de l'inaction » , les tableaux de N. Rauch dépeignant « toujours une activité fébrile, mais qui ne nous mène jamais à rien » [ 8 ] ... Dans cet univers qui porte en germe les conditions de sa fin, un élément subsiste, vecteur d'espoir : le medium de la peinture.


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Les couleurs du temps

Dans ses toiles, en rupture avec la tradition des peintres qui l'ont précédé à l'école des Beaux-arts de Leipzig, Neo Rauch propose aux spectateurs un espace purement pictural. De l'enseignement de son professeur Arno Rink, il a sans doute retenu une forme de réalisme critique insérant des pantins de théâtre dans des compositions chiffrées. Ce sont ces images qu'il détourne comme pour les vider de leur signification et qui s'avèrent difficiles à élucider pour les spectateurs d'aujourd'hui qui n'ont pas connu la RDA et ses décodages incessants. Une telle méfiance vis-à-vis du sens traduit-elle une absence d'engagement [ 9 ]. ? On peut le supposer. Si parti pris il y a du côté de l'artiste dans les œuvres exposées à Baden-Baden, c'est celui de ne rien affirmer, hormis son identité de peintre.

La peinture, « reine des disciplines » , y est omniprésente, symbolisée par de simples pots dans lesquels trempent des pinceaux. Il est par ailleurs fait référence à la pratique artistique quand Neo Rauch peint le feu : « Pour moi » , déclare le peintre, « les flammes symbolisent généralement l'inspiration ; c'est un concept un peu vieillot qui ne joue aucun rôle dans l'art actuel, mais il me plaît. » [ 10 ]. Le travail dans l'atelier est suggéré sur des toiles telles que Choix (Wahl , huile sur toile, 300 cm x 200 cm, 1998), représentant un espace de production – de tableaux ? – dans lequel se trouvent, entre autres, des pots noirs. Dans d'autres œuvres, on identifie instantanément des bidons de couleur ou un chevalet comme dans Prospecteur (Sucher , huile sur toile, 60 cm x 45 cm, 1997). La forme de la palette du peintre est également utilisée comme motif dans plusieurs toiles, par exemple dans Nuit de tempête ou dans Démonstrateur . Toujours sobres, les couleurs employées par Neo Rauch ont changé au fil du temps, et sont caractérisées à présent par une dominante de vert, de jaune, de rouge et de couleurs sombres.

A de nombreuses reprises, le peintre renvoie directement le spectateur à une diversité de techniques picturales. Dans Décollage , il réalise à partir de plusieurs séquences une composition sur un fond de quadrillage quasi régulier de toute la toile en traits orthogonaux jaunes sur bleu ardoise, évoquant à la fois la technique de la mise au carreau et la réduction de la perspective à une superposition de plans qui ici comprennent des éléments de paysage d'aérodrome, un personnage de mécanicien aéronautique et la représentation stylisée d'une fusée qui a décollé, accompagnée de la traîne de ses gaz. Dans La maison (Das Haus , huile sur toile, 194 cm x 137 cm, 1996), tout l'arrière-plan, soit plus d'un tiers de la toile, est constitué par de grands traits verticaux blancs tracés sur le fond noir, conférant une importance certaine à une dimension abstraite [ 11 ].. L'efficacité d'un dessin précis et l'attachement au travail formel sont manifestes dans les allusions à l'iconographie des jeux ou de la bande-dessinée. Ainsi la silhouette d'un des chasseurs de La tempête est cernée d'un trait de blanc et esquissée en deux dimensions comme une figurine d'un jeu de société. Le tableau intitulé Âge comporte des phylactères, qui cependant restent vides de toute inscription, tandis que les titres des tableaux ou des mots tracés en capitales apparaissent parfois à des endroits inattendus, comme le terme « berger » (Hirt) marqué sur la peau-fourrure d'un des êtres hybrides dans Place (Platz) . Là encore, le peintre diversifie les références et brouille les pistes. Comme c'est le cas pour les bandes-dessinées, les œuvres renferment une temporalité qui leur est propre, elles constituent autant de scènes d'une narration qui se déroule dans plusieurs espaces d'un même tableau ou semble se poursuivre d'un tableau à l'autre, avec la reprise d'éléments, de personnages, ou encore d'une œuvre dans son intégralité : ainsi Placenta (Plazenta , huile sur papier, diamètre 340 cm, 1993) est cité littéralement dans La retraite (Der Rückzug , 2009), reproduit sur un pan de bâtisse. Un critique [ 12 ]. a décelé dans ces explorations l'influence du magazine est-allemand Mosaik [ 13]..

Le caractère autoréférentiel est patent si l'on considère la présence d'autoportraits ou d'évocations plus discrètes de la figure de l'artiste dans les toiles, par exemple dans Déversement (Ausschüttung , huile sur toile, 210 cm x 300 cm, 2009). Neo Rauch fait par ailleurs des emprunts à divers courants de la tradition picturale. Nous avons évoqué plus haut les fresques de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance, dont les œuvres présentées reprennent la palette restreinte et le grand format : la plupart des toiles atteignent au minimum deux mètres de hauteur. Le peintre transpose des éléments du réalisme socialiste, dont il désamorce le propos. Les figures peu expressives peuvent apparaître comme les éléments interchangeables d'une narration dont le peintre est partie prenante. Ses tableaux comportent des affinités avec les univers oniriques des Surréalistes [ 14 ]., notamment avec les collages d'un Max Ernst. Certaines œuvres sur papier ou sur toile, en raison de la palette de couleurs réduite qui y est employée et de la matité de leur surface, ont l'aspect de sérigraphies et évoquent le Pop Art et son jeu avec les codes de la publicité, comme Marchand (Händler , huile sur papier, 116 cm x 72 cm, 1999).

Face à une diversité de tableaux dans lesquels éléments figuratifs, symboliques et abstraits se côtoient, toute tentative d'interprétation se trouve relativisée. Le peintre réussit le tour de force de capter le regard tout en ne répondant pas de manière univoque aux questions qui surgissent chez le spectateur. A mêler les références picturales, les éléments renvoyant à des époques spécifiques et à systématiquement multiplier les plans, les œuvres présentées laissent le spectateur avec ses interrogations, comme si la peinture arrêtait le mouvement du temps et de notre époque.



* (Marianne Beauviche est Maître de conférences en Etudes germaniques à l'Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse / Laboratoire ICTT (Identité culturelle, textes et théâtralité EA 4277)


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Notes :

1. Né en 1937 à Tübingen, historien de l'art, W. Spies a occupé le poste de professeur d'art du Xxème siècle à l'école des Beaux-arts de Düsseldorf de 1975 à 2002. De 1997 à 2000, il a été directeur du Musée national d'art moderne à Paris, Centre Georges Pompidou.

2. Il est possible de voir sur écran la reproduction de nombreuses œuvres à l'adresse : http://cgi.eigen-art.com/user-cgi-bin/files/nrauch_katalog_begleiter_lm_zusammen_72dpi_1.pdf , page consultée le 25/07/11. Version pdf

3. cf. Frank Zöllner « Mit strammer Wade » in : Die Zeit , 28/05/2011.

4. cf. Uwe Tellkamp, « Gretchen ist eine Domina » , in : Die Zeit , 08/04/2010.

5. Der Turm – Geschichte aus einem versunkenen Land , Suhrkamp, 2008, non traduit en français.

6. cf. Elke Linda Buchholz, Kunst zum hören – Neo Rauch , Audio-CD, Hatje Cantz Verlag, Ostfildern, 2011.

7. cf. Entretien avec l'artiste in : Elke Linda Buchholz, Kunst zum hören – Neo Rauch , opus cité.

8. cf. Massimiliano Gioni, « Neo Rauch – No man's land » , in : Art Press , N°281, juillet-août 2002, p. 20.

9. Ainsi que le suppose Jérôme Bazin, http://www.artsetsocietes.org/seminaireantibes/f/f-bazin.html, consulté le 25-07-11. Version pdf

10. cf.http://www.arte.tv/fr/1074664,CmC=1582698.html, dernière mise à jour le 24-05-07. Version pdf

11. Cette surface achromatique évoque pour Wolfgang Büscher un tableau de Mark Rothko (« ein Farbfeld, ein schwarzer Rothko ») , cf. Wolfgang Büscher, « Das Haus » , in : Hans-Werner Schmidt / Bernhart Schwenk (éd.), Neo Rauch – Begleiter , Hatje Cantz Verlag, Ostfildern, 2010, p. 26-27.

12. cf. Andreas Platthaus, « A la recherche de la planète Neo » , in : fondation Frieder Burda / Werner Spies (éd.), Neo Rauch , Hatje Cantz Verlag, Ostfildern, 2011, p. 124 et suiv.

13. Mensuel publié en RDA par Johannes Hegenbarth de décembre 1955 à juin 1975, cette revue de bandes-dessinées était très populaire en RDA. cf. Christoph Dieckmann, Im Comicreich der DDR , in : Die Zeit , N°51, 17/12/2010.

14. cf. Werner Spies, « Des répliques sismiques d'une histoire malfaisante » in : fondation Frieder Burda / Werner Spies (éd.), Neo Rauch , Hatje Cantz Verlag, Ostfildern, 2011, p. 34 et suiv.












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